Entre la restructuration de Casino et la baisse des taux d’intérêts de la FED, la dette fait beaucoup parler d’elle ces temps-ci. Ca tombe bien, on vous explique le métier de Debt Advisory, à mi chemin entre le Leveraged Finance et le Restructuring.
Bonjour et merci d’avoir accepté l’interview ! Quel est votre parcours ?
J’ai un parcours classique : classe préparatoire puis école de commerce suivi d’un mastère spécialisé en finance. J’ai eu des expériences en M&A et Structured Finance avant de travailler en Debt Advisory.
Présentation du métier
Quels sont les grands acteurs parisiens et de la City ?
Les grandes boutiques à Paris ont généralement une équipe Debt Advisory. On peut par exemple citer Lazard, Rothschild, Alantra, DC Advisory, Messiers & Maris (devenu Mediobanca), Lincoln International ou encore Clearwater. A Londres, Marlborough Partners, DC Advisory et Alantra (anciennement Catalyst) sont reconnus pour être de solides franchises en Debt Advisory.
Qu’est-ce que le Debt Advisory et quelle est la différence avec les activités Leveraged Finance, Restructuring ?
L’objectif du Debt Advisory est de guider le client dans son choix de financement pour un projet (Acquisitions, LBO, financement de croissance, Dividend recap (émission de dettes servant à payer un dividende au fonds)… On l’accompagne tout au long du deal, c’est-à-dire de la structuration de l’opération, à la réalisation d’un business plan, aux choix des financeurs potentiels adéquats pour son projet et dans l’ensemble des négociations. L’étape finale étant le décaissement des fonds (funding) par le prêteur choisi.
Les métiers de Leveraged Finance et de Restructuring sont différents du Debt Advisory. Seules les banques possèdent des équipes Leveraged Finance. Ces départements ont pour but de structurer une opération mais surtout de mettre à disposition des fonds dans le cadre d’acquisitions LBO, de refinancement ou de Dividend Recapitalization par exemple.
Les équipes Restructuring principalement en big four s’occupent de situations délicates, c’est-à-dire lorsque l’entreprise est en difficulté financière (on peut par exemple citer les cas récents de Casino et de Toys’R’Us). Les équipes vont par exemple négocier le rééchelonnement de la dette ou analyser en détail la composition d’un BFR (besoin en fonds de roulement, ou Working Capital). C’est très poussé comptablement.
Quels sont les types de clients que vous accompagnez ?
On peut aussi bien travailler avec des fonds de Private Equity, des entreprises classiques ou des personnes physiques.
On est impliqué dans des mandats buy-side (à l’achat) ou sell-side (à la vente) obtenus par le M&A. Lors d’un mandat buy-side par exemple, je vais devoir trouver des financements pour que l’entreprise ou le fonds puisse acheter la cible. Sur des opérations de cession, je vérifie que le financement de l’acquéreur est en adéquation avec l’offre remise.
En parallèle de ça, je travaille également sur des opérations purement financement. Des fonds d’investissements viennent nous voir pour qu’on les aide à refinancer en étendant la maturité d’une dette, renégocier les termes du financement ou dégager un dividende.
Y a-t-il une préférence en termes de secteurs et de géographie ?
Nous nous occupons de tout type de secteurs. En ce qui concerne la géographie, chaque pays à ses spécificités en financement et les références françaises ne sont pas applicables en Italie ou au Royaume-Uni par exemple. Nos clients sont donc généralement basés en France et lèvent leur financement dans l’hexagone.
Y a-t-il des connaissances juridiques à avoir ?
Effectivement, le travail ne consiste pas uniquement à modéliser des résultats financiers. Il y a une grosse partie de négociation de termes, que ce soit directement avec le client, les prêteurs ou avec les avocats. On acquiert toutefois ces notions avec le temps et la pratique.
Travailler en Debt Advisory
Quelles expériences sont valorisées pour entrer dans ce milieu ?
Il est assez délicat de rentrer en Debt Advisory directement en premier CDI. Il y a des aspects propres au financement (acteurs, process, termes…) qu’une personne directement sortie d’école ne maitrisera pas forcément. En général, ce sont des personnes qui ont quelques années d’expérience en Leveraged Finance, Restructuring voire en M&A et qui veulent passer côté conseil en financement.
Comment préparer au mieux les entretiens ? Quelles sont les notions à connaître (covenants, ratios, actualités…) ?
Outre les principes comptables et financier à maîtriser (connaître les grandes lignes de chaque état financier et les relations entre eux notamment le calcul des FCF qui serviront à rembourser les créanciers), il est important de connaître les différents types de dettes et leurs caractéristiques (amortissable, in fine, intérêts cash ou capitalisés…). Il faut également maitriser les ratios importants : le levier (ou Leverage), le Debt Service Coverage Ratio (plus communément appelé DSCR) ou encore l’Interest Coverage Ratio et ce qui peut les impacter.
Il est utile de se tenir au courant du marché de la dette : qu’est-ce que l’euribor, comment évolue-t-il, la politique monétaire actuelle en matière de taux …
Le quotidien en Debt Advisory
A quoi ressemble ton quotidien ?
Il y a une grosse partie modélisation et réalisation de documents marketing, comme le pitch en phase de prospection ou l’Information Memorandum (ou IM) en phase commerciale. Je contacte aussi les prêteurs potentiels pour leur expliquer le deal, répondre à leurs différentes questions, partager notre vision de l’actif, expliquer ce que souhaite le client, la structure que nous sollicitons …
Plus le process avance, plus le nombre d’interlocuteurs se réduit et plus je suis amené à pousser les discussions et à répondre à des questions sur des sujets plus précis. Je suis par exemple, en ce moment, en train de travailler sur un dossier qui nécessite que l’on rédige une production de trésorerie mensuelle des deux filiales d’un groupe sur la base des documents fournis par le client.
En phase de production de documents et de modélisation, je suis aidé par les stagiaires ou les analyste s. Ils participent également à toutes les discussions téléphoniques et autres réunions. L’objectif étant de former le stagiaire ou l’analyste pour qu’il puisse être autonome lorsqu’il sera de nouveau confronté à des situations similaires.
Comment sont gagnés les deals en Debt Advisory ? A quoi ressemble un process en debt advisory ?
La manière de gagner des deals est très semblable au M&A. Un Managing Director ou un Partner peut aller pitcher un prospect, en proposant par exemple d’optimiser leur structure financière. A l’inverse, le client peut venir nous voir pour nous présenter son projet et son besoin de financement.
Le process est là encore très similaire au M&A. Une fois mandaté par le client, on prépare l’Information Memorandum qui sera envoyée aux contreparties. Ces dernières reviennent avec des offres. Les contreparties sont ensuite sélectionnées et passent dans une seconde phase pendant laquelle des échanges approfondis seront réalisés pour répondre à leurs demandes.
Quelle est la tendance actuelle dans l’univers de la dette et du financement ?
Je dirai que deux choses sont préoccupantes : le niveau d’endettement et les aspects de structuration.
Les taux d’intérêt sont en ce moment extrêmement bas. Les clients sont donc enclins à lever des fonds, impactant positivement l’activité. Cette abondance de capital pousse à la hausse les prix et les multiples d’acquisitions. Les niveaux de levier, et donc d’endettement, dans les opérations LBO sont également à la hausse.
L’assouplissement de la documentation et des convenants est l’autre point important. Historiquement, on pouvait dire qu’il y avait en général trois ratios importants dans la documentation des opérations LBO : le levier (Leverage Ratio), l’Interest Coverage Ratio et le DSCR. On est petit à petit passé à deux ratios puis un seul, le ratio de levier. Certains deals large-cap n’ont même plus de convenant. Ce sont des opérations dites cov-lite. Sachant qu’il y a beaucoup de liquidités, la concurrence est féroce.
La dette est également de plus en plus souvent remboursable in fine (ou bullet). Si les entreprises n’ont pas eu la croissance attendue d’ici à la maturité de la dette, soit 5 à 7 ans, et qu’elles ont en plus un niveau de dette élevé, elles risquent de se retrouver en grande difficulté au moment de l’échéance.
En parallèle, on assiste également à l’émergence d’un nouveau type d’acteurs que sont les fonds de Private Debt, comme ICG, Tikehau, Alcentra, Barings, Ares Management ou Hayfin Capital Management. Ces derniers prennent des parts de marché aux banques et contribuent à l’abondance de capitaux. Même si les marges demandées sont plus élevées, les fonds de Private Debt proposent une souplesse et une rapidité d’exécution comparée aux banques.
L’après Debt Advisory
Quels sont les débouchés ?
De manière générale, les opportunités qui s’offrent à nous sont de rejoindre des équipes de Leveraged Finance ou de Private Debt. Certains partent dans des corporate à des postes comme chargé de financement ou en tant que directeur financier dans des structures plus petites.
Dans certains fonds de Private Equity, des personnes ont la charge du financement des participations. Cela peut également être considéré comme un débouché.
Qu’est-ce que tu aimes dans ce métier ?
J’adore pouvoir être exposé à différents types d’acteurs ou de contreparties : des entreprises qui vont bien ou non, des fonds de Private Equity, des personnes physiques actionnaires, des banques, des fonds de Private Debt… On travaille aussi sur différents secteurs, aussi bien de l’alimentation que du BTP ou de l’IT. C’est tout sauf routinier.
Il y a également un challenge intellectuel. Lorsqu’un client vient nous voir pour financer un projet particulier, c’est à nous de lui proposer différentes solutions avec plusieurs contreparties, de modéliser les résultats et d’exposer les avantages et les inconvénients. Voir que l’on a réussi à aider un client à mener à bien son projet est également très valorisant.
J’aime également beaucoup le partage de connaissance entre les différentes équipes. En effet, les équipes M&A ont une vision différente des actifs versus les équipes financement. Nous échangeons beaucoup sur nos pratiques, nos process mais également nos connaissances des actifs. C’est enrichissant de pouvoir partager nos connaissances dans un même but : la satisfaction de nos clients.
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