Le Petit Analyste accueille aujourd’hui un professionnel qui travaille en fonds de fonds de private equity (Fund of Funds) et en co-investissement. Excellente lecture !
Bonjour et merci d’avoir accepté l’interview ! Quel est ton parcours ?
Après un baccalauréat scientifique, je suis entré à l’université avant d’intégrer une école de commerce. Je me suis spécialisé en finance. À la suite d’un Summer Internship, j’ai travaillé plusieurs années dans une banque anglo-saxonne à Londres. J’ai ensuite eu l’opportunité de bosser dans plusieurs fonds d’investissement. Je travaille actuellement dans une équipe qui s’occupe à la fois des activités fonds de fonds (fund of funds) et co-investissement en Europe.
Présentation de l’activité Fund of Funds et co-investissement
Qu’est-ce que le Fund of Funds, le co-investissement et leurs différences avec le Private Equity classique ?
Le fonds de fonds
Les deux activités, fonds de fonds et co-investissement, sont complémentaires. Les acteurs dans ce secteur font d’ailleurs souvent les deux. L’investissement en fonds de fonds peut se décomposer en deux parties – le primaire et le secondaire :
- Le primaire regroupe toutes les nouvelles levées de fonds de Private Equity. Ces derniers vont chercher de nouveaux investisseurs pour ensuite déployer cet argent en investissant dans des entreprises ;
- En secondaire, tu rachètes des actifs – des fonds ou des parties de fonds – déjà existants, déjà investis.
Le co-investissement
Le co-investissement ressemble plus au Private Equity comme on peut le concevoir généralement, dans le sens où on investit directement dans une entreprise. La grosse différence, c’est que nous sommes minoritaires. Nous n’avons pas le contrôle de la société. Le travail en amont, lorsque l’on analyse l’opportunité d’investissement, est cependant similaire au Private Equity.
La différence réside surtout lorsque l’investissement est réalisé, c’est-à-dire quand l’entreprise est dans le portefeuille. L’investisseur a un rôle moins opérationnel qu’en fonds « classique ». En tant qu’Associate en co-investissement, tu ne vas pas appeler le directeur financier pour savoir si tel ou tel document est disponible, institutionnaliser le reporting de la société, rédiger des offres d’acquisitions (« LOI »), parler du refinancement d’un prêt etc. Nous travaillons avec des fonds avec lesquels nous avons de bonnes relations et avec qui nous sommes souvent nous-mêmes investis, d’où la complémentarité avec l’activité fonds de fonds.
L’avantage du co-investissement est que tu peux voir beaucoup de stratégies d’investissement différentes dans une multitude de secteurs, étant donné que tu travailles avec beaucoup de types de gérants de fonds différents (capital-investissement, capital-développement, capital-risque). Tu développes ainsi plus rapidement des compétences d’investisseur transverses. Tu acquerras en contrepartie moins de compétences opérationnelles.
Le monde du Fund of Funds
Quels sont les grades d’une équipe de Fund of Funds ?
Les grades sont très similaires à une équipe de Private Equity classique : Associate, Vice President ou Principal, Director puis Managing Director. La structure dépend bien sûr des fonds et chacun a sa propre hiérarchie. Les activités Fund of Funds et co-investissement peuvent se faire dans la même équipe selon la taille des effectifs. Les gros fonds pourront ainsi avoir deux équipes distinctes.
Que regardez-vous lorsque vous décidez d’investir dans un fonds ?
Le premier critère est l’historique du fonds, ce qu’on appelle le track record. La composition de l’équipe est un critère assez important : d’où vient l’équipe, est-elle stable, les membres ont-ils une spécialisation ou des compétences opérationnelles, le fonds a-t-il une approche particulière, a-t-il déjà investi dans ce type d’entreprise, a-t-il déjà été confronté à ce type de situation …
Nous vérifions aussi l’alignement des intérêts. Combien le General Partner (le gérant du fonds) investit dans le fonds, comment est réparti le carried interest ou encore quels sont les termes du fonds. La rémunération classique d’un fonds de Private Equity est la suivante :
- 2% de management fees. Le fonds va toucher 2% sur l’argent qu’il gère pour le compte des investisseurs (Limited Partners) ;
- 20% de carried interest. Le fonds va récupérer 20% des bénéfices une fois le hurdle rate atteint ;
- 8% de hurdle rate. C’est le taux de rentabilité minimum que le fonds doit atteindre pour ses investisseurs avant que le General Partner puisse obtenir du carried interest.
Nous regardons aussi l’évolution des montants levés. Si, par exemple, les managers avaient levé un fonds de 500 millions d’euros et qu’ils ont désormais pour objectif de lever 2 milliards d’euros, on peut se poser quelques questions : auront-ils les capacités pour déployer cet argent, ne vont-ils pas être contraints d’investir dans des entreprises trop risquées ou avec des valorisations trop élevées, etc.
Le critère RSE (responsabilité sociale et environnementale) devient également de plus en plus important. Nos clients (fonds de pension, fonds souverains, family offices…) sont de plus en plus sensibles à ces problématiques : économie d’énergie, proportion de CDI, parité hommes-femmes, diversité parmi les employés, etc. Ces critères varient selon les juridictions. Il est, par exemple, impossible d’avoir en France des statistiques sur l’origine des employés.
Comment l’activité est-elle rémunérée ?
C’est très similaire à un fonds de Private Equity classique. On récupère des management fees et du carried interest. Ces frais sont bien sûr moins élevés que dans un fonds classique car les retours attendus sont moindres. Nous avons également moins de frais de gestion ou de dépenses liées aux due diligences.
Le monde du co-investissement
Quels sont les grands noms du co-investissement ?
Plutôt que de simplement donner une liste de noms, je pense qu’il faut d’abord donner les grandes catégories d’acteurs. Nous avons :
- Les fonds de pension et les fonds souverains, comme CPPIB, GIC ou Temasek ;
- Les acteurs privés, semblables aux acteurs de Private Equity classique. Les noms connus sont Harbourvest, Partners Group, GCM Grosvenor, Hamilton Lane, Pantheon, Neuberger Berman ou encore StepStone Global ;
- Les family offices, qui font plus souvent du fonds de fonds avec un peu de co-investissement, de manière opportuniste. Il y a également les banques privées, comme Pictet ;
- Les banques, comme Goldman Sachs Asset Management (GSAM) ou HSBC. C’est souvent inclus dans l’activité Asset Management des banques ;
- Les acteurs publics, comme BPIfrance, le Fonds Européen d’Investissement ou la BERD
L’organisation d’une équipe de co-investissement est-elle similaire à celle d’une équipe de Private Equity classique ?
L’organisation est là aussi similaire à une équipe de Private Equity classique.
Quelles sont les grandes tendances actuelles ?
Un client, un fonds
On assiste à l’émergence des “separate accounts”, c’est-à-dire lorsqu’un fonds est alloué à un unique client. Par exemple, le fonds de pension des fonctionnaires du Minnesota veut augmenter son allocation en Private Equity de 100 millions de dollars. Ils vont chercher le meilleur manager possible pour investir cet argent et lui octroyer un mandat de gestion. Ce manager gérera un fonds dédié au fonds de pension du Minnesota. Ils ne sont donc plus un investisseur parmi d’autres et peuvent ainsi avoir des prestations sur-mesure, comme une allocation géographique spécifique. C’est également plus intéressant pour le gérant car les fees sont plus élevés.
Complémentarité des compétences
Les gérants de fonds se rendent compte que le co-investissement peut apporter une certaine valeur ajoutée. Si, par exemple, un fonds régional, disons français, achète une entreprise qui souhaite s’attaquer plus tard au marché américain, il peut être judicieux de co-investir avec un acteur plus global qui a une expérience sur ce marché. Pour la société, il est très utile d’avoir un conseil d’administration composé de personnes avec des compétences et des connaissances complémentaires.
Complémentarité des activités
Lorsque des clients investissent dans un fonds, ils vont parfois demander s’ils pourront aussi co-investir dans de futures acquisitions. Même s’il n’y a pas forcément de relation entre les deux dans la décision d’investissement (on peut très bien investir dans un fond sans co-investir dans une entreprise, et vice-versa), une bonne partie des co-investissements se font dans des fonds dans lesquels nous sommes nous-même investis. Les gérants de fonds se rendent comptent que proposer du co-investissement est primordial, et en font un argument marketing lors de leurs levées de fonds.
Comment se passe le processus d’investissement en co-investissement ?
L’étape préliminaire
C’est, là encore, similaire à un fonds classique. Le timing va dépendre de l’opportunité de co-investissement. Prenons un exemple concret : un fonds décide d’investir dans une entreprise. Il a besoin d’un co-investisseur car le montant d’equity que représente l’achat est trop important pour son fonds ou le surexposerait à un secteur particulier. Le fonds va donc contacter des co-investisseurs potentiels.
C’est là que notre travail commence. Nous recevons certains documents sur lesquels le fonds travaille et nous signons un accord de non-divulgation (non-divulgation agreement, ou NDA). Nous passons une première fois devant le comité avec un document d’une dizaine de pages présentant le deal : présentation de l’entreprise, du marché, éléments financiers, risques, retour sur investissement, valorisation … Nous expliquons aussi pourquoi il est intéressant d’être dans ce deal avec ce sponsor (bon historique dans ce secteur, Partner avec une expertise…).
Etude en profondeur
A la suite de ce comité, nous décidons si nous continuons ou non. Il peut y avoir des points à regarder plus en profondeur. Nous continuons de creuser en utilisant les rapports de due diligences ou en contactant des experts (autre sponsor avec une expérience similaire, références dans le secteur…). Nous attaquons également la modélisation financière en présentant un cas de base et un cas dégradé, dans lequel nous simulons une baisse du chiffre d’affaires, une augmentation des coûts, une détérioration des marges, etc. Le document que nous produisons est donc plus complet. Nous passons ensuite une deuxième fois en comité. Il peut ensuite avoir un troisième et dernier comité, afin de vérifier certains détails.
Plus généralement, le rythme est imposé par le fonds majoritaire. S’ils doivent rendre une offre d’ici 2 semaines, nous devons passer tout le process dans ce laps de temps. Sauf calendrier serré, la décision d’investissement prend en général entre 1 et 2 mois.
Avez-vous votre mot à dire sur la gestion de l’entreprise ?
C’est en fonction de la part de l’entreprise que tu possèdes. La gestion est très différente si tu as 5% ou si tu as 40%. Tu négocies des droits de gouvernance plus ou moins étendus selon ta participation, avec potentiellement des places au conseil d’administration de l’entreprise.
C’est important de bien connaître les sponsors avec qui tu co-investis. Si tu as une bonne relation, tu peux faire passer des messages plus facilement et il est aisé d’avoir des discussions sur tel ou tel sujet pour influencer les décisions finales. Dans tous les cas, tu as quand même un minimum de droit en tant qu’investisseur, même minoritaire : en cas de vente ou de changement de contrôle, droit d’information, possibilité de demander certains reportings, etc. C’est classique.
Travailler en co-investissement ou Fund of Funds
Quelles expériences sont à privilégier ?
Les recrutements sont semblables au Private Equity. Les candidats viennent le plus souvent du M&A, conseil en stratégie ou Transaction Services après quelques années. Le plus important à mon sens est d’avoir été exposé à des deals et de pouvoir en parler avec aisance. Il faut aussi avoir un avis critique sur ces deals et comprendre la stratégie et le développement de l’entreprise.
En ce qui concerne le fonds de fonds plus spécifiquement, les gens sont parfois passés par des agents de placement privé, ou placement agent dans la langue de Shakespeare, comme Capstone ou Park Hill. Ce sont des sortes de banques d’affaires pour les fonds. Ils réalisent par exemple des PPM (Private Placement Memorandum) pour un fonds qui vient de se lever.
Quid des horaires en co-investissement et Fund of Funds ?
Les horaires sont moins lourds qu’en banque. Cela dépend toutefois des acteurs, de la culture et selon si tu fais uniquement du co-investissement, du fonds de fonds ou les deux. Les horaires en Fund of Funds sont plus légers qu’en co-investissement. Il y a plus de visibilité sur le processus de levée de fonds.
En co-investissement, les journées finissent en général entre 20h et 22h, avec des pics selon la période. Il peut avoir du travail le week-end. Cela n’a rien toutefois rien à voir avec la banque, personne ne va te donner du travail à 18h le vendredi ou te demander d’imprimer les pitchs pour que le Managing Director les ait avant sa séance de yoga ! (Rires)
Qu’en est-il des salaires ?
Les salaires sont au départ moins élevés qu’en banque. L’explication est simple. Après 3 ans de carrière, tu peux passer Associate en banque et ainsi avoir une belle augmentation de fixe et de bonus. C’est rare d’avoir du carried interest tout de suite en Private Equity. Si c’est le cas, il est probablement peu élevé avec des conditions assez drastiques.
Je pense que l’on peut viser entre 75 000 et 90 000 £ par an en brut quand on commence en tant qu’Associate dans ce type d’acteur. Le bonus est bien sûr variable selon l’entreprise et la performance mais peut tourner aux alentours de 50% ou 60% de ton fixe. Comme je l’ai dit, le carried interest à ce niveau est faible, si ce n’est inexistant. Les gros fonds de Private Equity classiques comme Blackstone, Advent ou Apollo paient plus mais le rythme est différent.
Est-il possible de passer en Private Equity classique ?
Cela se fait, à condition d’avoir les compétences nécessaires. Cela dépend aussi des goûts des gens. Je préfère l’exposition et la latitude du co-investissement. Les fonds classiques recrutent des personnes avec un background en co-investissement. C’est ensuite à toi de te démarquer lors du processus de recrutement. C’est toutefois beaucoup plus compliqué si on a fait uniquement du fonds de fonds.
Qu’aimes-tu dans ton métier ?
J’aime bien l’idée de développer mes compétences d’investisseur. J’ai aussi pas mal d’autonomie et je vois beaucoup de stratégies différentes. Cela permet de comprendre et de comparer ce qui fonctionne ou pas parmi les sociétés ou les gérants de fonds. J’aime moins l’exercice de valorisation des entreprises qui sont en portefeuille. Je trouve ça assez pénible mais chaque métier en a sa part.
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