Le Petit Analyste vous présente aujourd’hui la Private Debt, ou Dette Privée. Excellente lecture !
Bonjour et merci d’avoir accepté l’interview ! Quel est ton parcours ?
J’ai intégré une école d’ingénieurs après une classe préparatoire. Pendant ma scolarité, j’ai décidé de faire un échange avec une école de commerce parisienne car je savais que je ne voulais pas m’orienter vers l’ingénierie. Mon premier stage de césure était en Corporate Development dans une grande entreprise française cotée. C’était très intéressant car cela m’a permis de toucher du doigt les défauts d’un grand groupe : lenteur administrative, manque de rapidité dans la prise de décision, absence d’audace dans la stratégie.
J’ai ensuite fait un stage dans un fonds d’investissement qui se spécialisait dans des secteurs que je trouvais intéressants : le luxe, les médias, les nouvelles technologies ou encore les sciences de la vie. J’ai pu accompagner une de leurs entreprises en portefeuille dans la mise en place de reporting. L’ambiance était également super.
Une fois de retour à l’école, j’ai décidé de ne pas me spécialiser. J’ai fait mon stage de fin d’études en M&A dans une grande boutique française à Paris. Ils m’ont fait une offre de CDI assez rapidement. Une fois au poste d’Analyste, je me suis rendu compte que ce n’était pas pour moi. Je me suis donc réorienté assez rapidement. Après quelques entretiens, j’ai eu trois offres, dont une dans un fonds de Private Debt. L’équipe m’avait fait une très bonne impression, l’entreprise était en forte croissance et j’étais curieux d’en apprendre plus sur la Private Debt. J’ai donc décidé d’accepter leur offre. Quelques années plus tard, je suis encore là !
Présentation de la Private Debt
Qu’est-ce que la Private Debt ?
La Private Debt est un financement dont les fonds proviennent de sources non traditionnelles. L’argent provient de fonds fermés. Ces fonds fermés sont alimentés par des investisseurs qui vont mettre de l’argent dedans, pour une durée déterminée. Cet argent va ensuite être utilisé pour financer des sociétés. C’est similaire au fonctionnement des fonds de Private Equity.
Les investisseurs qui nous confient cet argent ont des attentes de rendements assez élevés. L’argent qu’ils ont investi va donc servir à financer des opérations de LBO, par nature plus risquées, et donc plus rémunératrices.
C’est différent du financement traditionnel, dans lequel la banque va prêter et mettre ça sur son bilan.
Qui sont les acteurs majeurs en France et à Londres ?
En France, on peut citer Ardian, Capzanine, ICG, LGT, Tikehau, BlueBay (qui s’appelle désormais Arcmont), Barings, Goldman Sachs, Hayfin, Ares, Alcentra ou encore Pemberton. A Londres, on retrouve les mêmes acteurs. On peut également trouver CVC Credit Partners ou encore Blackrock. C’est un secteur en plein essor, beaucoup d’acteurs sont apparus au cours des 10 dernières années.
La Private Debt en détails
Sur quels types de deals travaillez-vous ?
La transaction la plus classique et la plus répandue est le LBO. Une entreprise est à vendre et un fonds la rachète. Ils vont financer une grande partie de l’acquisition via la dette. Nous pouvons également travailler sur des refinancements, c’est-à-dire repayer de la dette qui arrive à maturité en émettant une autre dette, ou alors des dividend recaps, c’est-à-dire lever de la dette pour payer un dividende à l’actionnaire.
Ils nous arrivent également de travailler sur des transactions où le management est actionnaire et cherche par exemple à financer sa croissance. Plus rarement, ils nous arrivent de travailler sur des acquisitions classiques, dans lesquelles une entreprise cherche à en racheter une autre. Ils peuvent faire appel à une équipe de Private Debt si leur calendrier est serré par exemple.
Quid des secteurs et de la géographie ?
En termes de géographie, notre équipe Française se concentre sur la France. Chaque pays a ses spécificités. C’est important de connaître ses droits en tant que créancier au cas où ça irait mal. C’est différent d’un pays à l’autre. C’est également important d’être sur place pour pouvoir sourcer et originer les transactions. Nous avons d’autres équipes qui se focalisent sur d’autres géographies (Benelux, UK, Allemagne, etc.)
Nous touchons à tous les secteurs, sauf l’infrastructure et l’immobilier. Ce sont des secteurs à part en Private Debt, comme ils le sont en Private Equity. A part ça, nous n’avons pas d’a priori sur les secteurs. Certains secteurs sont toutefois plus intéressants pour ce type de financement. On peut citer toutes les entreprises dans le secteur de la santé ou des télécommunications. A l’inverse, certains secteurs sont moins propices aux LBO. On peut citer la vente au détail (retail), la construction ou l’automobile. Pas mal de fonds de Private Equity se sont déjà cassé les dents.
Pour la taille, nous allons de 30 millions d’euros à 300 millions. Certains acteurs vont jusqu’à 500 millions.
Quels types de dette proposez-vous ?
Il peut avoir des transactions dites unitranche. C’est un financement composé d’une seule tranche senior. On peut l’opposer aux schémas classiques qui proposent une dette senior et une dette junior. Les plus grosses unitranche sont aux alentours de 500 millions d’euros, comme dit précédemment.
La Private Debt peut proposer également des tranches juniors (PIK, Second Lien, Mezzanine) mais c’est un marché beaucoup plus niche, moins structuré.
Le marché actuel
Quelle est la tendance actuelle ?
La dette unitranche est en plein essor depuis quelques années. Cela s’explique par ses avantages. C’est plus simple et plus rapide à mettre en place. Nos interlocuteurs viennent du monde du Private Equity. Ils sont en général assez pragmatiques et ont un circuit de décisions court. Tu peux y avoir accès facilement, que ce soit avant ou pendant le deal. Ils savent que le fonds de Private Debt sera lui aussi réactif et qu’il sera là pour les accompagner sur le moyen et long terme.
Les prix (pricing) ont également beaucoup baissé et se rapprochent désormais d’un financement bancaire classique. Il est donc logique de voir de plus en plus de fonds de Private Equity faire appel à l’unitranche pour financer leurs opérations.
On observe une disparition des covenants (transactions dites cov-lite) et une augmentation des leviers dans les grands LBO. Voit-on le même phénomène en Private Debt ?
Tout à fait, nous observons aussi une augmentation des leviers en Private Debt. La documentation juridique devient également de plus en plus accommodante pour les emprunteurs, même s’il y a encore des covenants dans les transactions impliquant des unitranches.
Ces tendances sont assez simples à expliquer. Comme je l’ai dit plus haut, c’est un marché qui attire de plus en plus de monde. Plus d’acteurs veut dire plus de compétitions. En tant que prêteur, il faut donc se démarquer des autres institutions. Les termes vont ainsi être de plus en plus favorables pour les emprunteurs.
Cela dit, avec la crise actuelle du coronavirus, tout le marché est chamboulé. On ne sait pas quelles seront les futures tendances.
Travailler en Private Debt
Quelles expériences sont valorisées pour un stage en Private Debt ?
Il faut une première expérience en finance : audit, Transaction Services, Private Equity, M&A … Nous recevons aussi en entretien les gens passés par des stages de conseils en stratégie.
Comment préparer au mieux les entretiens ? Quelles sont les notions à connaître ?
Il faut tout d’abord comprendre ce qu’est la dette privée et comprendre comment fonctionne un LBO. Il faut également bien maîtriser les différents agrégats financiers, comme connaître par exemple les grands éléments des trois états financiers, à savoir le compte de résultats (Profit & Loss ou P&L), le bilan (balance sheet) et le tableau de flux de trésorerie (cash flow statement), et maîtriser leurs interactions. Il faut aussi se renseigner sur l’entreprise chez qui vous avez l’entretien.
Dans notre équipe, nous faisons également très attention à la personnalité du candidat (le fit). Nous recherchons des gens curieux, ouverts d’esprit, sympathiques. Ça reste quand même un métier assez humain. Dernier point, il faut un bon niveau d’anglais vu que tout le travail se fait dans la langue de Shakespeare.
Le quotidien
Comment un deal est originé ?
Le cas de figure le plus classique est le suivant : le conseiller M&A vendeur (sell-side), en parallèle de tout le process equity, va gérer ce qu’on appelle l’éducation des prêteurs. Ils vont donc envoyer les informations nécessaires aux potentiels prêteurs et vont organiser des réunions. A partir du second tour, les fonds de Private Equity vont être mis en contact avec les fonds de Private Debt. La majorité de nos deals viennent donc des conseillers M&A sell-side.
Certaines opportunités nous arrivent grâce à nos bonnes relations avec les fonds de Private Equity. Ils nous proposent de regarder le deal et de les aider à le financer. Plus rarement, l’opportunité peut venir direct du management.
Le plus important est donc d’avoir des seniors avec un carnet d’adresses bien fourni, aussi bien dans les fonds de Private Equity, les banques et boutiques M&A que dans le management.
Quels sont les grandes missions ?
Il y a deux types de tâches dans un fonds de dette privée : l’investissement et le suivi du portefeuille.
Environ 80% de ton temps est dédié à l’investissement. Nous recevons d’abord une opportunité d’investissement. Nous creusons en cherchant plus d’informations et en parlant à des experts du secteur. Si on est partant, nous lançons le process en interne, à savoir la rédaction de la note d’investissement à partir de toutes les informations récupérées (Due Diligence, Information Memorandum, présentation aux prêteurs, discussions avec des experts …) ainsi que la modélisation financière. Une fois la note prête, elle est présentée en comité d’investissement. A la fin de ce comité, on décide si oui ou non on va dans le deal.
L’autre grande partie du métier consiste en la gestion du portefeuille. Quand tout se passe bien, il faut se tenir au courant de l’actualité de l’entreprise, prendre connaissance des derniers résultats et comprendre ce qui se passe sur le marché. Lorsque la situation devient critique, il faut potentiellement renégocier certains aspects de la documentation, inciter les actionnaires à réinvestir ou, dans les cas extrêmes, prendre le contrôle de l’entreprise pour la gérer et sauver son investissement. La partie gestion de portefeuilles peut ainsi occuper une place bien plus importante lorsque l’entreprise est dans une situation délicate. Avec la crise actuelle, je pense que nombre de mes confrères sont dans cette configuration.
Il peut également avoir des tâches annexes, comme la rédaction de reporting ou la préparation de documents pour les investisseurs. Nous ne nous occupons pas de ça là où je suis, c’est une autre équipe qui en est en charge.
Quelle est l’amplitude horaire ?
Les horaires sont beaucoup plus supportables qu’en M&A ou en Private Equity. Toutefois, lors d’un deal, il arrive d’être contacté plus en retard par rapport au fonds de Private Equity. On doit donc pouvoir proposer une solution de financement dans un temps assez restreint.
Quels sont les grades ?
Là où je travaille, nous commençons en tant qu’Analyste, puis Associate, Vice-President, Director puis Managing Director. Cela dit, les équipes qui travaillent sur une transaction sont restreintes : il y a un junior et un senior. Tu te retrouves donc très responsabilisé. L’Analyste ne va pas rendre son travail à l’Associate qui va le corriger pour ensuite le donner au Director qui va le regarder et le transmettre au Managing Director. Ça n’a rien à voir avec la banque, c’est beaucoup plus direct. C’est comme ça que l’on apprend le plus.
A quel salaire peut-on s’attendre en tant que junior ?
Quand on commence, je pense que l’on peut prétendre à quelque chose entre 60 000 et 80 000 euros de fixe. Le bonus dépend des années et des sociétés, mais ça peut monter à 50% voire 100%. Mais ces chiffres sont très variables et différents d’un fonds à l’autre. Il y a de grosses disparités entre les fonds anglo-saxons et les fonds franco-français ainsi qu’entre Paris et Londres.
Après la Private Debt
Quels sont les débouchés ?
Là où je suis, les seniors travaillent ensemble depuis plus de 10 ans. Les rares personnes qui sont parties ont rejoint des concurrents pour exercer le même métier. Je pense qu’il est possible de partir en fonds de Private Equity. Il ne faut toutefois pas trop tarder car on commence à se spécialiser et se bâtir un réseau dans le financement. Dans les équipes de Private Equity, certains ont des rôles similaires au métier de Debt Advisory. Cela peut être également une porte de sortie.
Je pense qu’il est plus facile pour quelqu’un travaillant en fonds de Private Equity de rejoindre une entreprise en portefeuilles que quelqu’un en Private Debt. Quand on est prêteur, on ne gère pas l’entreprise au quotidien. Je pense quand même que ça peut se tenter en s’y prenant bien.
Qu’aimes-tu dans ce métier ?
J’aime comment les équipes de Private Debt analysent un potentiel financement. Nous devons envisager à chaque fois le pire des scénarios et comprendre quels risques nous prenons. Il faut bien analyser chaque aspect de l’entreprise et mettre le doigt sur ses points faibles. Je trouve que cela correspond bien à ma personnalité.
Je suis également exposé à de nombreux deals et la majorité de mon temps est consacré à l’investissement. Je suis de nature assez curieux, j’adore donc me plonger à chaque fois dans un nouveau secteur, analyser ses caractéristiques et comprendre ce qui différencie la société de ses concurrents. On peut se retrouver intéressé par des secteurs qu’on ne connaissait pas quelques jours auparavant. Cela permet de comprendre le monde qui nous entoure. C’est intellectuellement enrichissant.
D’un autre côté, si la transaction fonctionne et que c’est un succès, on accorde aux prêteurs moins de crédit qu’au fonds de Private Equity. Le rendement est également plus limité ; nous ne récupérerons jamais trois fois notre mise sur un investissement en dette. Il y a donc un peu moins d’adrénaline que dans le Private Equity.
1 Comment
[…] sont partis en fonds, que ce soit en Private Debt ou en Private Equity. D’autres sont partis dans les directions financières de grands groupes […]